Guillaume Lesueur (Hy24) : « Il faut faire baisser le coût de fabrication de la molécule d’hydrogène »

La France a récemment revu à la baisse ses objectifs de puissance installée sur le territoire à l’occasion de la révision de sa stratégie hydrogène. Toutefois, l’Hexagone maintient sa volonté d’être présent sur tout le cycle de l’hydrogène, ce qui devrait créer encore de nouvelles opportunités pour les acteurs innovant dans ce secteur. POC Media s’est entretenu avec Guillaume Lesueur, à la tête du fonds Clean Hydrogen Equipment dédié au financements des équipementiers de la chaîne de valeur hydrogène. Nous sommes revenus sur la façon dont les évolutions récentes de la stratégie l’ont amené à réviser sa stratégie..
Pouvez-vous nous présenter Hy24 ?
Hy24 est une société d’investissement spécialisée dans la gestion de fonds, créée en 2021. Elle est dédiée à l’hydrogène et à ses dérivés, comme les carburants de synthèse. La société gère aujourd’hui deux fonds : un premier consacré au financement des infrastructures, et un autre aux fabricants de technologies (Clean Hydrogen Equipment Fund), qu’ils soient matures industriellement ou des start-up, et que nous accompagnons dans leur phase de scale-up.
Où en est le fonds sur les technologies ?
Le fonds a été lancé il y a 18 mois, et nous travaillons encore sur le deuxième closing. Nous avons déjà sécurisé 120 millions d’euros, et nous pourrions aller jusqu’à 500 millions d’euros. Nous avons déjà réalisé deux investissements, dans l’équipementier norvégien Hexagon Purus, et dans la société technologique espagnole H2SITE.
Quel est le montant des investissements moyens réalisés pour chaque entreprise ?
Nous pouvons investir de plusieurs millions jusqu’à plusieurs dizaines de millions par entreprise, en fonction des dossiers, sur une période maximale de dix ans. Au total, nous souhaitons investir dans une vingtaine de sociétés.
Quel est le profil des sociétés recherchées ?
Nous souhaitons investir dans une vingtaine de sociétés commercialisant des équipements, pour la majorité ayant une maturité industrielle avec des technologies dérisquées, et pour une partie plus limitée avec une maturité légèrement inférieure, mais toujours un TRL d’au moins 6. Ces sociétés doivent être prêtes à entrer dans une phase de scale-up. Elles doivent déjà avoir des capacités de production.
Malgré les difficultés des acteurs du marché, le gouvernement a affirmé à nouveau sa volonté de soutenir les acteurs sur toute la chaîne de valeur de l’hydrogène. Quelles sont les technologies ciblées en priorité ?
Nous sommes positionnés sur quatre verticales : les technologies de production de molécules tout d’abord, qui comprennent notamment les différentes technologies d’électrolyse, comme l’électrolyse alcaline, PEM (membrane échangeuse de protons), AEM (membrane échangeuse d’anions), etc. Deuxièmement, les technologies de conversion de la molécule, que ce soit pour la compression ou la liquéfaction, mais aussi leur combinaison avec d’autres pour former de l’ammoniac ou des carburants renouvelables, comme du méthanol ou des SAF (sustainable aviation fuel ou carburant durable d’aviation). Troisièmement, la logistique, pour le transport et la distribution de l’hydrogène. Et enfin, les technologies qui utilisent les molécules d’hydrogène, notamment les piles à combustible pour la mobilité et le transport ou les groupes électrogènes à hydrogène. Cela concerne aussi les technologies pour la production d’acier vert ou de ciment vert.
Des maillons de la chaîne de valeur sont-ils plus particulièrement recherchés ?
Nous nous intéressons particulièrement aux technologies d’électrolyse, ainsi qu’aux composants critiques pour les électrolyseurs, comme les membranes, les électrodes ou les catalyseurs. Nous regardons aussi de près certaines technologies spécifiques, comme celles permettant de craquer des molécules d’ammoniac. Cette technologie sera essentielle pour l’export d’hydrogène et la production d’électricité verte. Enfin les groupes électrogènes à hydrogène nous intéressent aussi. Ils pourraient jouer un rôle important dans l’alimentation de secours des datacenters ou de sites où les réseaux électriques sont fragiles.
Quelles sont les questions scientifiques ou technologiques qui freinent encore le passage de l’hydrogène à un marché de masse ?
Aujourd’hui, le principal enjeu est de faire baisser le coût de fabrication de la molécule d’hydrogène, afin d’augmenter la demande et de réduire la dépendance aux subventions publiques. Pour cela, il faut suivre la même voie que les énergies renouvelables il y a 20 ans : produire là où la ressource en électricité verte est abondante, s’appuyer sur l’innovation technologique et sur les économies d’échelle. Concernant l’innovation, sur le sujet de l’électrolyse, par exemple, la technologie alcaline est mature, mais celle à oxyde solide l’est moins, alors qu’elle pourrait permettre d’améliorer significativement l’efficacité énergétique de ce procédé de production.
Comment l’évolution de la stratégie du gouvernement modifie-t-elle la vôtre en matière d’investissements ?
Il faut rappeler que cette stratégie était attendue depuis deux ans par les acteurs français qui manquaient d’un cadre stable pour développer leurs projets. Cette version révisée réaffirme clairement l’ambition de la France, même si les objectifs ont été revus à la baisse en raison d’un développement du secteur moins rapide que prévu. Elle manque encore toutefois de clarté, notamment sur le soutien à l’achat de véhicules ou encore sur le développement d’une infrastructure de réseaux d’hydrogène (pipelines). Je note toutefois que la nouvelle stratégie mentionne les SAF (« sustainable aviation fuels »), ce qui est une bonne nouvelle pour le secteur du transport aérien.