Olivier Palluault (Ellyx) : « Nous nous battons pour que nos clients travaillent davantage avec la recherche publique »

18 avril 2022

L’entreprise Ellyx, spécialisée dans l’innovation, fait de la recherche et développement sociale. Elle mobilise ses ressources scientifiques, majoritairement issues des sciences humaines et sociales (SHS), pour répondre à des problématiques d’entreprises et d’organisations tout en privilégiant l’intérêt général. Le gérant de l’entreprise Olivier Palluault, qui a monté en 2019 un laboratoire commun avec la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société (MSHS) de l’Université de Poitiers et du CNRS, revient pour POC Media sur la singularité de son approche scientifique et sur les difficultés éprouvées par la recherche publique pour valoriser le domaine des SHS.

Ellyx se décrit comme une agence de R&D classique, mais au service de l’innovation sociale. Pouvez-vous nous présenter votre entreprise et les spécificités de son expertise et de ses ambitions ?

Nous aidons nos clients à répondre à des problèmes de société, en mobilisant des outils de recherche et développement sociale. Nous apportons une expertise sociétale à dimension sociale aux problématiques rencontrées par nos clients, ce qui permet de mieux appréhender les enjeux et de concevoir des solutions appropriées. L’innovation n’est pas tout le temps contrariée par des raisons financières. Nous avons, par exemple, travaillé avec une société qui fabrique des toilettes sèches. L’adoption de ce type de w.-c. est moins freinée par le coût que par l’image qu’elles véhiculent. Leur R&D passe donc par de la R&D sociale, c’est-à-dire par le recours à la sociologie, à l’anthropologie… Par ailleurs, nous ne visons pas seulement le développement économique de l’entreprise, même si c’est souvent une conséquence indirecte.

Sur quel type de problématique intervenez-vous ?

Nous intervenons, entre autres, sur l’inclusion des personnes handicapées dans le monde du travail, le développement des services au bénéfice des personnes âgées dépendantes, le développement des filières cyclologistiques pour l’alimentation et les circuits courts, la mobilité sociale des personnes éloignées de l’emploi en milieu rural. Les sujets sur lesquels nous intervenons peuvent concerner, par exemple, un abattoir de volailles confronté à la difficulté d’embaucher des femmes pour effectuer des horaires de nuit. Ici, l’enjeu consistait à intégrer la problématique de la monoparentalité, et à trouver les modes de garde adaptés. Dans la même veine, une entreprise fruitière qui peine à recruter est amenée à collaborer avec la collectivité locale pour développer des logements saisonniers et répondre aux besoins de mobilité (permis de conduire et acquisition de véhicule).

Votre équipe est-elle en majorité constituée de chercheurs en SHS ?

Oui, nous sommes une vingtaine de scientifiques, dont un tiers sont docteurs. Ils sont issus de différentes disciplines : sciences politiques, géographie, gestion, économie… Nous menons aussi des programmes de R&D en interne, GenerIS, puis PRISM, dans lequel s’est inscrit le LabCom Destins.

Le LabCom Destins a été lancé en 2019. Quels sont ses axes de recherche ?

Notre premier programme de recherche, GenerIS, portait sur l’innovation sociale et les conditions pour avoir un impact social fort. Prism, qui a donné naissance à ce LabCom, portait davantage sur une démarche de coopération nécessaire à l’émergence de l’innovation sociale de rupture. Nous sommes issus de la recherche publique, nous avons ainsi expérimenté la difficulté de l’écosystème d’innovation à répondre de manière pertinente aux problématiques de société. Les dispositifs d’aides publiques privilégient et soutiennent l’innovation technologique, au service du développement des entreprises, et non pas l’innovation sociale qui sert l’intérêt général. Pour résoudre ce paradoxe, ce LabCom étudie et structure une nouvelle forme d’approches et de méthodes, visant au développement de l’innovation sociale.

Avez-vous déjà réussi à produire des résultats et à les diffuser au-delà de la structure ?

De manière générale, nous expérimentons la difficulté pour un LabCom de s’inscrire dans un cadre SHS, car la R&D n’est pas brevetable, et n’a pas pour vocation première de générer des revenus économiques. L’intérêt et les résultats du LabCom sont réels, mais leurs débouchés (évolution des politiques publiques, transformation de l’écosystème, élaboration de nouveaux services sociaux…) ne correspondent pas aux grilles d’évaluation classique des financeurs, comme l’ANR ou les structures de transfert (SATT). En revanche, grâce à ce programme nous inventons de nouveaux cadres juridiques et devrions expérimenter, dans les prochaines semaines, des modalités de convention originales entre entreprises et collectivités territoriales. Nous avons d’ailleurs le label CDT, ce qui nous permet de jouer le rôle d’interface entre ces acteurs. Nous nous battons pour que nos clients travaillent davantage avec la recherche publique, notamment en SHS, et que la recherche change ses méthodes de collaboration.

Quelles sont vos propositions pour mieux valoriser les SHS ?

Nous avons créé l’échelle SRL (Societal Readiness Level) pour remplacer l’échelle de TRL. Elle permet d’évaluer différemment les projets de recherche à finalité sociétale, notamment public/privé. L’échelle de SRL permet notamment de mieux mesurer l’impact pour l’intérêt général de projets de recherche. Pour illustrer cette différence entre ces deux approches, nous pouvons prendre l’exemple de la nécessaire réduction des émissions de CO2 des voitures. Mettre en place une ZFE (zone à faible émission), comme c’est le cas actuellement dans plusieurs métropoles, pose problème d’un point de vue social, car seuls les plus aisés peuvent acheter des voitures non polluantes. L’enjeu est donc, pour les collectivités territoriales, de co-construire avec les entreprises des solutions de mobilité, notamment pour expérimenter la construction de voitures à faible émission, et la mise à disposition de ce type de véhicules pour les populations les plus pauvres.

Propos recueillis par Florent Detroy

Retrouvez les autres actualités thématiques de poC média

Inscription Newsletter

Vous souhaitez suivre l'actualité des technologies deeptech ?

Recevez gratuitement une newsletter par semaine

Je m'inscris
Fermer