L’AP-HP, nouveau terrain d’expérimentation du labo de robotique Isir

11 mai 2020
Déploiement d'un robot Pepper dans la chambre d'une patiente

Déploiement d'un robot Pepper dans la chambre d'une patiente © A.Duguet

Déploiement d’un robot Pepper dans la chambre d’une patiente ©A.Duguet

Le laboratoire de robotique de Sorbonne Université, l’Isir, a installé des robots équipés d’écrans dans la chambre des patients du Covid-19, pour leur permettre d’échanger avec leurs proches par visioconférence. Au-delà du service rendu, ce projet, monté avec SoftBank Robotics, pourrait faire avancer la recherche en matière d’interaction homme-machine. 

Les patients atteints par le Covid-19 sont aussi victimes du confinement et de l’isolement. Pendant près de trois semaines, durée moyenne d’hospitalisation, ces malades ne reçoivent aucune visite. Pour beaucoup, le séjour à l’hôpital se double ainsi d’un vide social. Une équipe composée de chercheurs et de médecins a ainsi réfléchi à une solution innovante.

« Nous voulions créer une communication entre les patients et leurs proches, sans exposer le personnel », explique Alexandre Duguet, pneumologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) à Paris. Son idée : déployer des robots dans les chambres des patients atteints par le Covod-19.

Le médecin a notamment l’idée d’utiliser les robots Pepper, déployés alors dans le cadre d’un autre projet de recherche mené à la Pitié-Salepêtrière. Il contacte Guillaume Morel, directeur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir) et de l’Institut Carnot Interfaces, ainsi qu’Alexandre Mazel, de SoftBank Robotics, propriétaire des robots Pepper et déjà en contact avec l’Isir.

L’objectif : installer des robots équipés d’écrans, de caméras et de micros dans les chambres des patients atteints par le Covid-19, pour qu’ils échangent avec leurs proches.

Pepper & Salt
Concrètement, l’équipe déploie deux types de robots : les robots Pepper et Salt. Les deux robots sont équipés d’un écran et d’une connexion, et établissent un échange par visioconférence entre le patient et ses proches. Les familles ont même la possibilité de contrôler les déplacements du robot. « Le système de téléprésence, capable de véhiculer le regard, donne un meilleur sentiment de présence », ajoute Guillaume Morel.

Le robot Pepper est le plus évolué des deux. Outre sa forme d’humanoïde, avec ses yeux exprimant des émotions, il est doté d’une intelligence artificielle embarquée qui lui permet d’interagir avec le patient, et même avec les équipes de soin.

En quelques jours, l’équipe déploie quelques robots dans les chambres d’hôpital. Et les premiers retours, tant des patients que du personnel soignant, sont positifs.

« Il nous fallait un regard extérieur de chercheurs experts dans les usages des technologies et des interactions entre humains et machines » 

Alexandre Mazel 

Un accélérateur de recherche
Ce projet porte des enjeux majeurs en termes de recherche qui ne concernent pas uniquement les aspects techniques. « Le projet s’est fait rapidement, nous avions toutes les briques. L’Isir nous a surtout aidés pour la partie éthique. Cet usage de Pepper est nouveau pour nous. Pour répondre rapidement à l’urgence de la situation, il nous fallait un regard extérieur de chercheurs experts dans les usages des technologies et des interactions entre humains et machines », détaille Alexandre Mazel.

Le véritable enjeu du projet, en matière de recherche, concerne l’acceptation du robot par l’homme. À cette fin, l’équipe a pris soin d’avertir les médecins de l’hôpital sur les usages des télévisites, et de s’entourer de psychologues et de spécialistes des interactions homme-machine. C’est le cas du professeur Mohamed Chetouani de l’Isir, spécialiste de ces interactions (voir interview ci-dessous).

« Nous souhaitons enclencher des programmes de recherche à la suite de cette expérience, pour en tirer, notamment, des leçons sur la perception de l’usage des robots »

Guillaume Morel

Un pas de plus vers les « robots hospitaliers »
La bonne compréhension des interactions homme-machine pourrait changer le quotidien des professionnels de santé, notamment. On devrait assister ainsi à une généralisation des robots au sein des hôpitaux, pour effectuer de nouvelles tâches. « Le robot pourrait aider les soignants en diffusant des messages d’encouragement, des informations sur les sorties, les bonnes nouvelles », indique Guillaume Morel.

Avant l’émergence de « robots hospitaliers », le projet pourrait déjà donner lieu à de nouveaux projets de recherche sur le sujet. « Nous souhaitons enclencher des programmes de recherche à la suite de cette expérience, pour en tirer, notamment, des leçons sur la perception de l’usage des robots ».

Par Florent Detroy

Trois questions à Mohamed Chetouani

Ce professeur du laboratoire Isir (CNRS/Sorbonne Université), responsable de l’équipe PIRoS (Perception, Interaction et Robotique Sociales), est spécialiste de l’interaction humain-machine. Président du comité d’éthique de la recherche (CER) de Sorbonne Université, il a apporté son expertise au projet de déploiement du robot Pepper à l’AP-HP.

 
Quelle a été votre rôle dans le projet ?

Nous avons apporté nos connaissances en robotique sociale, notamment sur la partie éthique, à travers une approche pluridisciplinaire : interaction humain-machine, psychologie et clinique. Nous avons notamment travaillé sur la demande de consentement des patients, ou sur les conséquences de la téléprésence. Par exemple, nous voulions que le dispositif soit immersif, mais il a fallu installer rapidement des protections. Au début, les proches avaient tout de suite l’image du patient lorsque le robot se connectait. Aujourd’hui nous travaillons à mieux préparer les proches, en les faisant par exemple « rentrer » dans la chambre avec le robot. C’est de la mise en scène, mais c’est important. 

Comment le projet avec l’AP-HP et SoftBank Robotics vous aide-t-il dans vos recherches ?

Dès le début, nous avons mis en place un volet recherche, notamment grâce à nos questionnaires. Ils abordent la question de l’usage et de la perception de ces robots. Nous souhaitions par exemple mesurer comment Pepper et Salt pouvaient réduire l’anxiété, des patients comme des proches. Et à plus long terme, nous souhaitons également savoir s’ils ont pu réduire le stress post-traumatique dont souffrent actuellement ces patients. J’ajoute que nous avions déjà des projets d’utilisation de la téléprésence en santé, notamment avec le service de psychiatrie de l’enfant à la Pitié-Salpêtrière. Les familles de ces patients habitent rarement à Paris. Dans le futur, nous allons continuer à développer des projets de téléprésence. Comme le télétravail, c’est une thématique qui va rester après cette crise.

Collaborez-vous régulièrement avec les entreprises ?

Nous travaillons depuis longtemps avec SoftBank Robotics. Plusieurs de mes doctorants travaillent chez eux. Après, nous avons une stratégie de collaboration avec les entreprises depuis des années. Grâce à ces projets collaboratifs, nous avons accès à des données et des problématiques auxquelles nous ne sommes pas souvent confrontés.

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