Vision 3D, neurochirurgie et « pair programming » : le sinueux parcours de Use-Together

5 mars 2020

Après avoir essayé la communication, la télévision, ou encore la santé, l’équipe de Use Together, associée au laboratoire du CReSTIC de l’Université de Reims, a enfin trouvé son marché : le pair programming (programmation collaborative). POC Media revient sur les trois actes qui ont marqué l’ascension de Use Together, l’application qui a conquis Renault, Slack ou encore LinkedIn.

Use Together est une application permettant à deux ou plusieurs personnes de travailler sur un même écran, à distance, sur des documents de grande taille, voire des maquettes numériques. Une innovation tout sauf simple. « L’image 3D, même vue en 2D, demande beaucoup de calcul » rappelle Didier Debons, le fondateur de Use Together. Malgré le succès qui se dessine, Use Together a mis longtemps à trouver son marché.

Pour comprendre la valeur-ajoutée de Use Together, il faut remonter aux années 2000.

Acte I : un pionnier sans marché
À l’origine, Use Together n’est ni une application, ni une solution de « pair programming », mais une technologie de vision en 3D pour la communication.

Eurêka. En 2007, Didier Debons, actif dans la communication institutionnel, découvre l’auto-stéréoscopie : un principe optique qui permet de diffuser une image en relief, et sans lunette. « Le principe est que chacun des deux yeux voient une image différente. Ce décalage crée le relief » explique Didier Debons. Ce dernier a alors l’idée de créer une caméra qui filmerait et diffuserait une image en 3D, et en direct. Ses travaux sur l’optimisation du flux vidéo l’amène a déposer un brevet, puis à monter l’entreprise Telerelief chargée de commercialiser sa technologie. Il l’expose ensuite à Innovact, l’événement consacré à l’innovation de Reims, en 2008. L’effet « whaou » fonctionne à plein, et Telerelief reçoit le premier prix de l’innovation.

Cette même année, Didier Debons est contacté par des chercheurs du CReSTIC (Centre de Recherche en Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication). Le laboratoire de l’université de Reims en sciences numériques mène également des travaux sur la vision allioscopique. En prime, il dispose d’importantes capacités de calculs, ressource clef pour optimiser le signal vidéo. Un partenariat est noué, et un dossier est déposé à l’ANR (Agence nationale de la recherche) pour financer un projet de recherche. Une entreprise est créée dans la foulée, et plusieurs brevets suivent. « Tout cela se termine dans un grand couac » conclut Didier Debons.

Acte II : le rebond dans la santé
Le marché de la vision 3D s’écroule au début des années 2010. La cause : les écrans ne sont pas capables à l’époque de produire assez d’images pour créer un relief. « Nous étions sur de la 2K. Aujourd’hui, avec 8K, c’est tout juste acceptable » explique Didier Debons.

La collaboration avec l’Université de Reims ne s’arrête pourtant pas là. En parallèle, le CHU de Reims manifeste son intérêt pour la technologie. Avec un marché servi sur un plateau : la visualisation des données des patients en relief sans lunettes pour les opérations de neurochirurgie. « Les chirurgiens voient moins bien le patient lorsque l’opération commence, notre technologie pouvait leur permettre de continuer à voir l’image du corps » précise Didier Debons. Un projet FUI est même déposé, le projet ICOS, en partenariat avec les pôles Cap Digital, Systematic et Medicen. Il est accepté, et doté de près de 900 000€ de subventions (sur un total de 2M€).

Nouvel échec. Le projet échoue lui aussi. Pour une raison que personne n’avait anticipée : le chirurgien devait avoir accès aux données, pendant l’opération, via ses mouvements. La Kinect de Microsoft, une caméra à reconnaissance de mouvements, vient alors de sortir, et semble être l’outil idéal pour répondre à cette contrainte. Las. « La Kinect ne fonctionnait pas à plus de trois mètres » révèle Didier Debons. Aucun appareil électronique ne pouvant pénétrer trop près de la salle d’opération, le projet subit un coup fatal.

Acte III : l’invité surprise : le « pair programing »
Didier Debons ne perd jamais espoir. Surtout que les technologies évoluent favorablement à cette époque. L’arrivée du Web « RTC », au milieu des années 2010, permet de développer des applications pour communiquer en audio et en vidéo en temps réel (RTC). Surtout, à la fin des années 2010, les capacités de calcul de l’université de Reims se trouvent décuplées grâce à l’installation dans ses locaux de ROMEO.

[ROMEO : Ce super-calculateur de 1 pétaflops, construit par Atos, a été installé sur le campus de l’université de Reims Champagne-Ardenne en 2018 dans le cadre du plan IA du gouvernement. Il doit servir notamment à développer des innovations dans les domaines de la santé, des transports, de l’environnement et de la défense]

Surtout, un évènement décide Use Together à « pivoter » une nouvelle fois : le rachat de Screenhero, une application de partage d’écran et d’appel audio/vidéo, par l’application américaine Slack en 2015. « Nous nous sommes rendus que nous maitrisions aussi cette technologie » explique Julien Lehuraux, ingénieur chez Use Together. 

Use Together conçoit alors un nouveau produit, en se basant toujours sur ses compétences en encodage vidéo et en calcul : une application de partage à distance de données lourdes. « Un médecin pourrait faire appel à un confrère pour regarder une image 3D avec lui, sans avoir à la télécharger, par exemple » explique Didier Debons. Le succès arrive à nouveau. De grands industriels apprécient tout de suite la possibilité de donner accès à leurs données, sans laisser les utilisateurs les télécharger. Renault adopte ainsi la solution pour permettre à ses ingénieurs de travailler à distance sur ses maquettes numériques. Mais le marché qui décolle, c’est l’informatique.
« Sur les 2000 utilisateurs de Use Together, nous nous sommes rendus compte que la moitié étaient des programmeurs »
Laurent Lucas, chercheur au CReSTIC
Use Together est en train de révolutionner le métier de développeur, métier solitaire s’il en est, en permettant à ses acteurs de travailler ensemble. Use Together a ainsi fait son entrée dans GitHub, la plateforme collaborative de développement de logiciels, et dans Slack, depuis l’échec de son rachat de Screenhero. 

Le CReSTIC est plus que jamais un partenaire clef pour Use Together. L’équipe R&D s’est d’ailleurs installée dans les locaux de l’IUT de Reims, à proximité du CReSTIC, afin de poursuivre la collaboration. « Nous avons testé la nouvelle version de Use-Together pour Linux avec eux » confie Julien Lehuraux.

Ce qu’il faut retenir :

  • Use Together et l’université de Reims ont conclu un partenariat dès 2007 pour développer la technologie d’allioscopie
  • Les deux partenaires ont déposé un dossier FUI en 2013 pour le projet ICOS
  • Les trois ingénieurs de Use Together travaillent au sein de l’université de Reims

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