Catherine Ricou (Veolia) : « nous allons investir près de 200 millions d’euros dans l’innovation »

Le groupe Veolia a annoncé un investissement de 30 millions d’euros dans Axeleo, un fonds dédié aux technologies deeptech, qui souhaite lever 250 millions d’euros au total. Une décision qui s’inscrit dans la volonté du groupe, avec son plan stratégique GreenUp, de consacrer près de 200 millions d’euros d’ici à 2027 dans des démonstrateurs industriels ou dans l’acquisition de nouvelles technologies. Catherine Ricou, la directrice de l’innovation de Veolia, revient pour POC Media sur les technologies stratégiques pour le groupe et la raison du choix d’investir dans un fonds spécialisé.
Quelles sont les raisons de l’investissement de Veolia dans ce fonds ?
Ce fonds s’inscrit dans la stratégie Green Up 24/27 de Veolia, et doit permettre de soutenir la croissance sur notre cœur de métiers, comme l’eau, les déchets et l’énergie, et de booster la croissance sur de nouveaux secteurs, tels les water technologies, les déchets dangereux, les énergies alternatives et décarbonées. Cet investissement dans ce fonds GreenTech vient soutenir notre ambition visant à décarboner nos activités et celles de nos clients, à régénérer les ressources et, enfin, à dépolluer, notamment par le traitement des micropolluants (PFAS, microplastiques).
Quelles sont ces nouvelles technologies sur lesquelles Veolia ambitionne d’investir ?
Nous souhaitons notamment nous renforcer sur les watertech, dans le sillage de notre rachat de GE Water, en 2017. Ce rachat nous a déjà permis de nous développer sur certaines activités, comme les membranes pour filtrer l’eau. Les autres activités que nous voulons booster concernent, à titre d’exemple, la gestion des déchets dangereux, le traitement des polluants complexes, le recyclage des plastiques, les bioénergies ou, encore, l’efficacité énergétique associée à l’IA.
Comment vos activités de R&D s’organisent-elles en interne ?
La R&D, au sein de Veolia, est effectivement très développée, avec près de 4 800 brevets sur l’eau, dix centres d’expertises, dont un sur l’eau en Espagne, un sur les membranes, et un sur la caractérisation des déchets. En complément, nous avons mis en place un réseau de huit hubs d’innovation répartis sur l’ensemble de nos géographies, ce qui permet également de nous connecter aux réseaux d’innovations et de start-up locales ; nous pouvons ainsi investir dans des entreprises prometteuses. Par exemple, nous avons récemment pris 10 % des parts de la start-up Purecontrol.
Votre investissement dans Axeleo a-t-elle pour objectif de développer votre stratégie d’open innovation ?
Il nous manquait effectivement un outil pour investir. Afin de trouver la bonne innovation, il faut rencontrer un grand nombre d’entreprises pour se donner toutes les chances de dénicher les plus prometteuses et robustes, celles qui sauront trouver leur place sur le marché. Et grâce à l’expertise d’Axeleo, nous sommes en mesure d’orienter nos choix vers les start-up répondant à ces attentes ; toutes ne pourront pas atteindre la phase d’industrialisation que nous recherchons. Nous voulions ainsi collaborer avec un fonds pour réduire le risque et augmenter le champ de nos recherches. J’ai rencontré une vingtaine de fonds, pour choisir, au final, Axeleo. Le fonds vise un investissement dans une vingtaine d’entreprises.
Pourquoi ne pas avoir créé un fonds « corporate » ?
Nous n’avons pas voulu créer notre propre fonds VC, car ce type de fonds demande d’investir des tickets importants. En prime, le fait d’être un grand groupe peut fermer certaines portes pour les acteurs dans lesquels nous aurions investi.
Participez-vous au sourcing des start-up du fonds ?
Nous avons des outils, en interne, capables d’analyser de nombreuses bases de données. C’est un peu notre VC interne. Nous avons aussi des parts dans des incubateurs, comme Plug&play, ce qui complète cette activité. Cela nous permet de pousser certaines start-up à Axeleo.
Quel est le niveau de maturité des entreprises que vous visez ?
Nous ne souhaitions pas être trop bas dans l’échelle des TRL, pour pouvoir viser un délai de mise sur le marché des technologies portées par les start-up de deux à trois ans. Nous ne voulions pas non plus entrer dans un fonds de croissance, qui n’aurait pas forcément eu besoin de notre expertise. Nous visons ainsi les projets qui sont en phase d’industrialisation, c’est-à-dire dans cette « vallée de la mort » qui correspond à un défaut de financement des start-up industrielles, en raison, d’une part, des montants importants nécessaires et, d’autre part, du manque de compétences en matière d’industrialisation. Il peut s’agir d’entreprises en phase de construction d’une première usine, par exemple. C’est un marché qui n’est pas beaucoup adressé par les VC en règle générale. Nous pouvons alors leur apporter notre expertise, car les enjeux à ce stade reposent sur le déploiement de la technologie.
Comment intervenez-vous sur ces enjeux de déploiement ?
Il y aura sûrement plusieurs cas de figure. Nous pouvons déjà les amener à travailler avec un de nos centres R&D, comme notre plateforme sur l’eau. Nous pouvons aussi former une joint venture ensemble, ou simplement garder notre participation dans l’entreprise et suivre son développement. Et nous aurons d’autres budgets pour les accompagner lors des étapes suivantes, comme l’industrialisation.
Faites-vous aussi profiter Axeleo de votre expertise scientifique et technologique ?
Oui, nous allons mettre à contribution notre expertise, issue de nos différents métiers, dans les services et les technologies, pour orienter certains choix d’Axeleo. Par exemple, concernant les technologies de stockage de CO2, nous allons pousser pour qu’Axeleo s’intéresse aux technologies de membranes, plutôt qu’à celles de stockage de carbone avec des amines, une méthode déjà ancienne. L’intérêt, pour nous, est que nous travaillons déjà sur les membranes utilisées pour des dispositifs de purification de gaz. Nous pourrions très bien faire évoluer les applications de ces membranes, par exemple pour capturer du CO2. Nous avons déjà commencé à faire des « combinaison » entre cette activité sur les membranes et d’autres technologies. C’est le cas avec Sweetch-Energy (start-up spécialisée dans la production d’énergie osmotique) qui développe également des membranes.
Propos recueillis par Florent Detroy